Texte 19 : Claude Lévi-Strauss, Race et Histoire (1952)



Remerciements à Mme Cornier






Pbtq : Comment C. Lévi-Strauss dénonce-t-il le préjugé ethnocentrique qui procède, comme le racisme, de la négation de l’altérité ?

Rappelez-vous que la stratégie argumentative de C. Lévi-Strauss repose sur la réfutation de l’idée que certaines civilisations sont plus avancées que d’autres. 



I. Le ton détaché et la démarche d’un scientifique

a. Des précautions rhétoriques : modalisations de l’incertitude « il semble que », « sans doute », « il est probable » l. 14  « paraît » l. 27, « semble » l. 25> un propos qui prétend être le plus juste et le plus objectif possible > démarche scientifique. 

b. Peu d’implication de la part du locuteur mais une opinion affirmée :
-         usage du présent de V. générale, de définitions…
Ø  Tendance à donner des définitions, des explications : « tend à » l.7, « consiste à » l. 8, multiplication du verbe « être » à valeur définitoire l. 2, l. 22, l. 24.
-        Utilisation de phrases déclaratives dans tout le texte, essentiellement affirmatives.
-        Négation qui rejette toute tentative de discussion sur la validité du constat énoncé « n’a pas besoin d’être discuté » l. 19. 


c. Un travail qui s’appuie avant tout sur des exemples empruntés à l’observation 

-        Exemples à valeur d’argument historique et linguistique s’appuyant sur les archaïsmes, l’antiquité gréco-romaine puis la civilisation occidentale > insistance sur la chronologie au moyen du connecteur « ensuite » l. 13. On est presque dans le cadre d’arguments d’autorité.-        Constats basés sur l’observation de l’anthropologue et de l’ethnologue qui analysent les mécanismes humains : travail de celui qui sait décrypter les comportements grâce à son bagage intellectuel et scientifique: « se dissimule » l. 14, « recèle » l. 20 (deux termes qui invitent à une étude de la part de l’auteur).Ø  Le registre employé ici est très clairement didactique : le propos est modéré et cherche à enseigner en recourant aux données les plus objectives possibles.   



II. Un texte à l’argumentation dense qui fait appel à la raison 

a. Un raisonnement par étapes
-        Texte rigoureusement composé au moyen des reprises > « cette attitude » l. 12, « cette même répulsion » l. 11 + phénomènes d’écho entre les différents § > donne une cohérence forte qui permet le déroulement de l’argumentation > pédagogie de ce texte écrit pour vulgarisation.-        Nombreux liens logiques marquant fortement les articulations majeures du texte : opposition initiale qui guide le raisonnement, utilisation de l’adverbe « ainsi » qui permet le rapprochement entre argument et exemple, multiples oppositions signalant les contradictions entre observations scientifiques et croyances.-        Prédilection du raisonnement déductif qui structure chacun des deux paragraphes du développement dans un souci pédagogique là encore. L’auteur expose chacune de ses idées qu’il illustre soigneusement d’exemples divers.

b. Le recours à l’analogie
Dans le même souci de clarté, de logique et de variété, C. Lévi-Strauss emploie le raisonnement par analogie.-        Dans le 2e paragraphe : système de comparaisons et de rapprochements : barbare = sauvage. Le rapprochement s’opère par le biais de l’adjectif « même » (l. 13-14) + conjonction de coordination « et » qui établit un rapport d’égalité.
« il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux […] ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animale […]. »
-        3e paragraphe : analogie du comportement entre Indiens et Espagnols.
Ø  deux actions simultanées renforcées par l’usage de la prop. sub. conj. temporelle « pendant que » l. 35 au même but.
Ø  Imparfaits duratifs (« envoyaient », « possédaient », « s’employaient » l. 35-36) qui mettent en valeur à la fois la persistance des faits et leur simultanéité là encore.
-        Multiplication des formulations de rapprochement : « chez chacun de nous » l. 7, « sous le même nom de barbare » l. 13, « dans le même sens », « se donnent » (verbe pronominal qui établit la réciprocité l. 34). Ces multiples rapprochements permettent à l’auteur d’établir des parallèles révélateurs et convaincants pour le lecteur.
 > Un texte qui privilégie plusieurs approches afin de rendre l’explication complète et variée- L’auteur utilise dans son texte un plan analytique qui va décortiquer les différents éléments qui fondent l’attitude raciste.- Mais ce plan se complète de comparaisons (raisonnement par analogie) qui étoffent son propos.   




III. Une déconstruction de la notion de « barbarie », dénoncée comme terreau du racisme qui s’appuie sur 

a. Un rejet des idées reçues
-        Annoncé d’emblée par le connecteur logique d’opposition « pourtant » > mettre en valeur le regard nouveau porté sur le racisme comme révélation de la sauvagerie de celui qui l’exprime.-        Étude de la « doxa » (opinion commune) et de l’attitude générale des hommes au moyen du pronom indéfini « on », de l’introduction de paroles rapportées au discours direct (l. 9-12) permettant d’établir une distinction entre ce qui est communément admis (et non pris en charge par l’auteur) et la thèse de Lévi-Strauss. D’ailleurs, les termes de « barbare » ou « sauvage » sont clairement mis à distance par l’auteur, soit qu’il les place entre guillemets (l. 9, 21) ou qu’il les intègre sous forme de complément du nom (« sous le nom même de barbare » l. 13) comme pour les placer sous contrôle.-        Lévi-Strauss établit la définition et la délimitation du terme « barbare » de manière scientifique : il faut en passer par l’opposition entre nature et culture pour y parvenir > n’est barbare que ce qui est sauvage, de la forêt, appartenant au monde animal (analyse linguistique). Ce faisant, Lévi Strauss entend bien démontrer que l’utilisation du terme « barbare » tel qu’il l’a été depuis l’Antiquité gréco-romaine est une extension de sens abusive. Les oppositions réitérées entre nature et culture qui jalonnent ce passage appuient cette idée : « opposées » l. 15, « par opposition » l. 16.


b. Un renversement de l’opinion commune grâce au recours au paradoxe > texte qui fonctionne presque comme une provocation
- Usage du syllogisme qui permet un rapprochement des comportementsa) nous rejetons l’Autre ;b) les sauvages en font autant ;c) donc nous sommes des sauvages.

- Contrairement aux idées reçues, le concept d’humanité est au final récent, peu partagé et fragile l. 23-25) : adverbe d’intensité « fort » l. 24 souligne la nouveauté de cette notion jusque là utilisée dans un sens trop restrictif. Confusion dans l’opinion commune entre tribu et humanité > changement récent, entraîné par l’étude scientifique (l’ethnologie et l’anthropologie sont des disciplines qui se constituent scientifiquement au XIXè siècle).
-        Utilisation de raccourcis parlants  et imagés: « L’humanité cesse aux frontières de la tribu » l. 28 > mise en valeur du fonctionnement du groupe dans le racisme. 


c. Une réflexion sur les mécanismes du racisme

Ø  comme phénomène commun qui renvoie à l’archaïsme de la société humaine :
-        termes qui soulignent l’absence d’évolution : « grossier », « naïf » et à l’instinct > animalité de l’homme >< civilisation et humanité.-        Usage des superlatifs qui accentuent l’archaïsme de cette attitude (« la plus ancienne » l. 6, « les plus éloignées » l. 9, « son plus haut développement » l. 25).Ø  Une réflexion sur la norme et l’exclusion : chp lexical du rejet+ Usage des articles définis à valeur générique « la civilisation », « le terme », « les formes culturelles »Ø  Conduit à déconstruire l’ethnocentrisme au profit du relativisme. 



Texte qui est donc engagé mais qui propose une réflexion raisonnée et raisonnable autour de la notion de « barbarie » en la fondant sur l’ethnocentrisme et non sur sa réalité.  

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