Remerciements à Mme Cornier
Le Discours sur le colonialisme est un pamphlet[1]
anticolonialiste d’Aimé Césaire. Cet écrivain français originaire des
Antilles est l‘un des fondateurs du
mouvement littéraire de la Négritude, aux côtés de Senghor, rejetant les effets
de la colonisation française notamment sur les cultures africaine et antillaise
considérées comme inférieures à la culture française. Cette entreprise de
dévalorisation systématique conduisant au racisme est dénoncée par Césaire et
les partisans de la Négritude
qui militent pour une reconnaissance de leurs racines, de leur identité et de
leurs droits. Au début de la deuxième
partie du Discours sur le colonialisme,
Césaire élabore un parallèle entre colonisation et nazisme.
Lecture
Pbtq : Comment Aimé Césaire dénonce-t-il les
méfaits de la colonisation dans ce texte ?
Annonce du plan : Nous verrons que ce texte propose une
argumentation rigoureuse dont l’efficacité se renforce du recours à une
écriture imagée permettant un réquisitoire virulent contre la
colonisation.
I. Une dénonciation implacable (une argumentation
rigoureuse et efficace)
Le travail de dénonciation de l’auteur s’appuie sur des procédés
argumentatifs qui structurent fortement le texte, invitant le lecteur à le
suivre dans son raisonnement.
a. Un raisonnement déductif
- Annonce d’emblée de l’étude à mener appuyée par le connecteur
chronologique « d’abord » l. 1 > sens de l’organisation.
- Illustration de l’abrutissement et de la violence du colonisateur dans la
suite du § par l’utilisation d’exemples à portée générale (articles définis,
usage du pluriel) jusqu’à l’universel (l. 6).
> Volonté pédagogique et démonstrative (la logique de la démonstration
est laissée souvent au jugement du lecteur/ auditeur : peu de liens
logiques au final mais beaucoup de ponctuation comme les deux points ou le point virgule qui marquent les
articulations du texte) qui vient renforcer l’argumentation raisonnée du propos
et qui conduit à impliquer le destinataire.
b. L’implication du destinataire
- Aimé Césaire cherche à remporter l’adhésion de son destinataire en l’impliquant
progressivement à la réflexion. À la distance qui semble s’instaurer dans le 1er
paragraphe, essentiellement constitué sur le principe de la généralisation
comme « la bourgeoisie » l. 11, il substitue le pronom indéfini
« on » à la ligne 15. La reprise anaphorique de ce pronom,
omniprésent dans le dernier paragraphe (13 occurrences), associé à l’insertion
de paroles rapportées au discours direct, établit une forme de complicité entre
le destinataire de ce discours et ceux qui ont favorisé le nazisme.
- Le changement de temps au cours de
ce paragraphe renforce cette assimilation puisque le présent de vérité générale
qui semble établir une réflexion théorique est vite remplacé par l’usage du
passé composé («on en a été le complice » l. 18, « on l’a
absous » l. 19) signalant la vérité des faits passés évoqués.
C’est donc la responsabilité de chacun que Césaire souligne dans ce texte
face à tout acte de barbarie, quel que
soit l’endroit où il a lieu, quels que soient les hommes qui l’utilisent.
c. Un système d’équivalence
Ce travail sur la démonstration va se renforcer de tout un système
d’équivalence, qui repose sur un raisonnement par analogie.
- Cette analogie est préparée par le chp lexical de la torture
(« supplicié » l. 5, « prisonniers […] interrogés » l. 9,
« patriotes torturés » l. 9) : Césaire élabore un parallèle
entre la colonisation et le nazisme afin de donner du poids à son propos.
- Cette analogie a pour but de donner une équivalence entre les pratiques
de la colonisation et celles du nazisme, considéré comme la forme supérieure de
la barbarie (ne pas oublier que ce texte a été écrit en 1950, soit à peine
5 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale). D’ailleurs, au terme de
« prisonniers » l. 9, il substitue celui de « patriotes »,
assimilant le combat des peuples souhaitant la décolonisation à celui des
résistants français sous le régime de Vichy.
Transition : Césaire fait donc appel à un passé récent
pour ses auditeurs et à leur fibre patriotique pour opérer un réveil des
consciences quant au fonctionnement de la colonisation. Son discours se fait
alors métaphorique et pathétique afin d’être encore plus éloquent.
II. Une dénonciation imagée et pathétique
Césaire renforce l’efficacité de sa dénonciation en usant du registre
pathétique.
a. Un principe de contagion par la métaphore de la maladie
et de l’empoisonnement
- Ce dernier s’appuie sur une métaphore filée qui assimile la colonisation
à la maladie et à l’empoisonnement en employant les termes
« gangrène », « foyer d’infection » l.7 ou encore
« poison instillé » l. 10, personnifiant colonisation et Europe. Ce
travail sur le corps malade et affaibli le conduit alors à dévaloriser la
colonisation dont la propagation maladive se fait par contagion.
- Ainsi, la diffusion de la maladie et du poison est rendue visible dans le
texte grâce aux verbes « s’installer », « s’étendre » ou
« instillé » l. 7-10 ; le texte progresse alors par
généralisation, en parallèle au principe de contagion qui irrigue le texte, de
pays particuliers (l. 4-5) au « continent » (l. 10).
- Cette démonstration se complète d’un travail sur
le lointain et le proche afin de rapprocher des actes de barbarie commis dans
ces pays colonisés et la France qui les permet : ce rapprochement se fait
au moyen de la répétition de structures et de termes similaires que l’on
retrouve dans le 1er paragraphe : « chaque fois que […] et
qu’en France on accepte » qui joue à la fois sur la mélopée lancinante et
sur l’accusation martelée. Systématiquement, Césaire rapproche au sein de la
même proposition France et pays lointain afin de souligner le mécanisme de
l’acceptation silencieuse qui conduit à la multiplication de la violence (notez
le passage d’ « une tête » « un œil » à « un
Malgache » « une fillette » et aux pluriels qui suivent > la
grammaire se fait l’écho de ce principe de contagion et qui aboutit à une
contagion de l’Europe même)
b. Un colonisateur rendu à sa bestialité
Aimé Césaire retourne les arguments des colonialistes qui ont fait de
l’Autre une brute [Fin XIIIe-début XIVes. « (d'un inanimé) qui est à l'état
sauvage »/ 1416 « qui n'a pas été façonné par l'homme »] et qui finit par être
assimilé à la violence. Le chp lexical de la bestialité scande le texte :
« déciviliser », « abrutir » (l. 1-2),
« instincts » (l. 2).
Il
oppose colonisateur et victimes, présentées par des synecdoques
« œil », « tête » qui rendent compte de leur faiblesse face
à ceux qui les soumettent et qui martyrisent leur corps.
Ø Déshumanisation de l’Autre et du colonisateur
> déshumanisation de l’Homme.
À
partir d’un renversement des idées reçues, Césaire blâme le colonisateur et le dévalorise
en lui retirant tout droit à l’humanité. L’association du « progès »
et de « l’ensauvagement » joue sur l’antithèse et fait écho à la
thèse énoncée à la première ligne.
c. Un texte baigné de sang et de violence
- Divers chps lexicaux : torture et violence conduisent à ensanglanter
le texte
- Se renforcent d’allitérations (consonnes essentiellement explosives [k],
[b], [p], [d] [t]) qui agissent comme un grondement inquiétant et quasi animal,
mimant la violence faite aux corps lors des colonisations.
- dislocation du corps, dislocation de la société, dislocation du continent
> dislocation de la civilisation : la violence creuse des failles ce
qu’appuie le rythme ternaire de la l. 21 : « qu’il sourd, qu’il
perce, qu’il goutte » avant de « fissur[er] » la civilisation
occidentale l. 22.
Transition : Césaire en appelle donc aux peurs les plus
profondes et archaïques de son destinataire afin de faire passer son message
(aspect persuasif). Son texte se fait alors un réquisitoire sans appel contre
le racisme, à l’origine de toute colonisation et qu’il dénonce sur le registre
polémique.
III. Une dénonciation virulente
Tout ce texte n’est qu’une dénonciation du racisme, utilisé comme
justification de toute colonisation quelle qu’elle soit. Césaire va alors user
de tous les procédés propres au registre polémique pour en faire le
réquisitoire.
a. Un racisme qui est de la responsabilité
de tous
Césaire recourt à de multiples procédés oratoires afin de dénoncer les
mécanismes mis en place par le racisme.
- Ainsi, les rythmes binaires, utilisés abondamment dans le texte, visent
le plus souvent à établir la responsabilité de tout un chacun, notamment dans
le 3e §. L. 15 « On s’étonne, on s’indigne » relayé par
« on attend, on espère » l. 16 et enfin « on l’a cultivé, on en
est responsable » l. 21, marquant bien la logique implacable de
l’installation du racisme. C’est bien l’indifférence qui lui permet de proliférer.
b. Utilisation du rythme de la phrase au
service de la dénonciation
- Utilisation
de très longues phrases qui donnent à la fois du lyrisme au propos mais également
beaucoup d’emphase permettant une persuasion plus efficace : le 1er
§ n’est constitué que d’une seule longue phrase, comme quasiment la totalité du
3e §. Longueur des phrases qui en accentue l’importance.
- Ces longues phrases sont assimilables à des périodes rhétoriques dont
l’acmé met en valeur les conduites qui suscitent l’indignation de
Césaire :
1er § : acmé « un acquis de la civilisation »,
« une régression universelle », « la gangrène », « un
foyer d’infection » > tous ces termes renvoyant au racisme évoqué dans
le GN « cet orgueil racial » évoquant l’ethnocentrisme.
3e§ : plusieurs apodoses qui
fusionnent dans l’engloutissement annoncé de la civilisation, vision
apocalyptique de la fin d’un monde.
c. Un propos théâtralisé
- utilisation du présent d’énonciation l. 12 après des procédés de
retardement : deux CC de temps, image en complément d’agent > « un
formidable choc » qui n’est expliqué qu’après les deux points > mise en
valeur de la rapidité de l’attaque et de la passivité des complices
inconscients du nazisme (d’ailleurs voie passive dans la première partie de la
phrase « est réveillée » alors que la gestapo est en position
d’ « activité » dans la suite de la phrase)
- Utilisation de DD qui décrédibilise le discours
naïf des complices du nazisme et du racisme > bêtise et simplicité de ce
discours.
Conclusion
- Texte engagé de Césaire qui use de toutes les ressources de
l’ éloquence pour dénoncer le colonialisme et la racisme qui sous-tend
tous ses méfaits > d’une argumentation raisonnée et implacable, à un
discours imagé et combattif qui révèle l’indignation d’un homme face à ceux qui
s’arrogent le droit de soumettre d’autres peuples.
-Texte qui joue sur le paradoxe d'un Occidental qui devient plus sauvage
que celui qu'il tente de dominer > mécanisme dont Claude Lévi-Strauss
démontrera la validité dans le chapitre 3 consacré à l'ethnocentrisme de son
livre Race et histoire.
Pour aller plus loin : écouter un extrait du discours dit par le
metteur en scène Antoine Vitez.
[1] Court écrit satirique, qui attaque
avec violence le gouvernement, les institutions, la religion, un personnage
connu
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